Contes et légendes suisses
Provenant de divers cantons
L'onguent vert
Le petit Jérémie vivait seul avec sa
mère dans un chalet de la montagne. Il était âgé
d'une dizaine d'années mais déjà s'efforçait
de travailler comme un homme parce que sa maman était toujours
malade. La pauvre femme ne possédait qu'une chèvre pour
toute richesse et c'est à peine si elle pouvait encore la mener
paître le long des chemins pendant que son fils se louait à
la journée afin de gagner quelques morceaux de pain et de fromage
qu'on lui donnait en échange de ses services. Quand il rentrait,
le soir, il était bien triste parce que sa maman souffrait
et qu'il n'avait pas d'argent pour aller consulter le médecin.
Or, dans la forêt, au-dessus du village, vivait une fée
très vieille qui possédait de grands pouvoirs. Elle
savait rendre la parole aux muets, la vue aux aveugles et la vie même
à ceux qui déjà l'avaient perdue. On l'aurait
beaucoup aimée, même, si elle n'avait pas été
extrêmement avare. Seulement, l'avarice la rendait odieuse à
chacun.
Bien que ses coffres aient été, disait-on, remplis d'or
et d'argent, elle n'accordait ses bienfaits qu'à ceux qui pouvaient
la payer en belles pièces neuves. Elle éconduisait les
pauvres, se moquait de leurs supplications. En revanche, des rois
et des princes venaient de loin pour obtenir une once d'un onguent
vert qu'ils payaient à prix d'or. Et chacun le reconnaissait:
cet onguent faisait des miracles.
Jérémie ne savait qu'inventer pour fléchir l'avaricieuse
fée. Plusieurs fois, il s'était rendu à sa grotte;
il l'avait priée, suppliée; il avait tendu vers elle
ses mains jointes: elle était demeurée inflexible.
- Reviens quand tu auras les mains remplies d'argent ou d'or et je
guérirai ta mère...
Un long rire aigu accompagnait ses paroles; après quoi, elle
disparaissait dans sa grotte où, avec une joie toujours renouvelée,
elle comptait, disait-on, ses trésors.
Le temps passait; la pauvre maman de Jérémie s'affaiblissait
et le malheureux garçon voyait arriver le jour où il
serait tout à fait orphelin.
Un matin que la malade était au plus mal, dévorée
de fièvre et déjà pâle comme une morte,
Jérémie décida de tenter encore une démarche
auprès de la fée. Il se munit d'un bâton, rassembla
les quelques sous qu'il put trouver dans le tiroir de la commode et
se mit en marche vers la forêt. La grotte était fermée.
Il frappa; personne ne répondit. C'était un dimanche
et le garçon se souvint que, ce jour-là, la fée
s'absentait; on disait, au village, qu'elle allait danser sur la montagne
avec d'autres fées qui venaient à sa rencontre. Elle
ne rentrerait qu'à la tombée de la nuit.
- J'attendrai, pensa Jérémie.
Il s'assit devant la porte et, de la pointe de son bâton, se
mit à gratter la terre, sans penser à rien. Quelle ne
fut pas sa surprise de découvrir, tout à coup, une clef,
à fleur de sol ! Il se pencha, examina l'objet, le glissa dans
la serrure. Au même instant, la porte s'ouvrit, silencieuse,
et Jérémie se trouva dans la grotte sans l'avoir voulu...
Pendant quelques secondes, il demeura confus de son audace. Puis,
la pensée de sa mère lui rendit son courage. . Si je
découvrais l'onguent vert », pensa-t-il... Il n'eut pas
à chercher longtemps. Un pot de grès, pansu et rouge,
occupait l'angle de la pièce. Jérémie y plongea
son index, le retira, le regarda: Il était vert, d'un joli
vert d'herbe nouvelle, quand les premières tiges poussent,
le long des murailles. Alors, il ne perdit plus une seconde, sortit,
referma la porte derrière lui, glissa la clef où il
l'avait trouvée, courut. Son cœur battait très
fort; il l'entendait frapper à grands coups contre ses côtes.
Pourvu que la fée ne sache pas, oh! pourvu qu'elle ne sache
pas!
- Où avez-vous mal? demanda-t-il, en entrant d'un bond dans
la chambre où sa maman agonisait.
- Là, tu vois, là...
Elle montrait faiblement sa poitrine.
Il toucha la poitrine maternelle de son doigt toujours enduit de la
graisse verte. Miracle! La maman de Jérémie s'assit
sur son lit; son visage, déjà, retrouvait des couleurs;
ses yeux s'animaient. Jérémie la regardait revivre avec
une indicible joie.
- Tu as trouvé de l'onguent vert, tu as trouvé
de l'onguent vert... Que le bon Dieu te bénisse!
Vers le soir, la maman, complètement guérie, alluma
un grand feu sur l'âtre. Jérémie s'assit près
du feu. Il tenait toujours son index tendu parce qu'un peu d'onguent
demeurait attaché à la peau.
- Peut-être, en aurai-je encore besoin, se disait-il.
La fée allait s'apercevoir sans doute du larcin. Elle accourrait.
Et Jérémie ne savait comment il échapperait à
la vengeance de la méchante vieille.
Brusquement, la porte s'ouvrit, et la vieille se tint debout sur le
seuil.
- Te voilà, criait-elle, voleur. Rends-moi ce que tu m'as pris!
- Tenez, tenez, répondit Jérémie.
Il s'était levé, il courut vers elle, lui planta son
index dans la bouche. La fée hurla de douleur; l'onguent vert
visiblement la brûlait. Elle se tordit, quelques secondes, puis
d'un bond, se jeta dans les flammes et s'évapora en fumée...
Quelques jours plus tard, Jérémie remonta vers la grotte.
Il retrouva la clef, ouvrit la porte: Tout était demeuré
en ordre dans l'appartement de la fée.
Alors, le garçon s'empara du pot de grès. Il chercha
aussi le trésor. Le coffre était lourd. Revenu au village,
il distribua l'argent et l'or aux pauvres, gardant pour lui le pot
d'onguent vert; et c'est ainsi qu'il put guérir tous les malades
de son pays.
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